EPP et formation universitaire des Masseurs-Kinésithérapeutes
L’évaluation des pratiques professionnelles et la formation universitaire au service de l’amélioration de l’autonomie d’exercice des Masseurs-Kinésithérapeutes et de la qualité des pratiques.
Par Franck Gatto, kinésithérapeute et Maitre de Conférences, HDR (Université de Montpellier 3)
1. Selon la dernière réglementation concernant l’EPP
L’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), instituée par l’article L. 4133-1-1 du code de la santé publique, consiste (article D.4133-23 de ce code) en « L’analyse de la pratique professionnelle en référence à des recommandations et selon une méthode élaborée ou validée par la Haute Autorité en Santé et inclut la mise en œuvre et le suivi d’actions d’amélioration des pratiques » (J0 N°2 - 3/01/2008 – texte N° 84 : Décision HAS n° 2007.10.035/EPP du 07 novembre 2007).
Ce texte concerne actuellement les médecins mais la définition s’applique à l’EPP en général et concerne donc les Masseurs-Kinésithérapeutes (MK).
2. Principes fondamentaux à respecter concernant l’EPP en Masso-Kinésithérapie
• La masso-kinĂ©sithĂ©rapie est diffĂ©rente dans ses pratiques de la mĂ©decine, de la psychologie, de l’éducation, de la biomĂ©canique …
· Il ne s’agit pas d’appliquer des techniques de manière mécanique, systématique, protocolaire, prévues à l’avance en fonction de pathologies mais d’inventer l’acte de rééducation à partir des savoirs scientifiques multiréférentiels, des recommandations de la HAS, de l’expérience du professionnel, de l’expérience du patient, des demandes et des besoins du patient. C’est à partir de savoirs médicaux et éducatifs et de l’évaluation du MK qui se confond avec l’acte de soins que les pensées, les discours, les techniques, les écrits sont créés, inventés, conceptualisés et mis en œuvre par le MK et le patient. Selon la Loi du 04 mars 2002 (article L111-2 et L111-4) le patient et le MK sont co-auteurs, co-inventeurs, co-décideurs de l’évaluation, des objectifs, des programmes thérapeutiques qui peuvent être réorientés à tout moment. De nombreux travaux de recherche sur l’évaluation des pratiques professionnelles des masseurs-kinésithérapeutes (Masters, Thèses, HDR) ont montré que souvent le masseur-kinésithérapeute gère l’imprévu, adapte ses connaissances, ses savoir-faire au moment opportun, et invente une réponse pertinente au service de la santé du malade.
· L’EPP du MK doit prendre en compte toutes les dimensions de la pratique (médicale, éducative et conceptuelle).
3. Conséquences pratiques pour la mise en œuvre de l’EPP permettant de ne pas perdre de compétences
C’est à partir de différents savoirs et techniques que le masseur-kinésithérapeute autonome, invente, conceptualise et régule son action en situation. Les actes de masso-kinésithérapie ne peuvent donc pas se définir et s’évaluer comme des actes techniques simples. Il ne s’agit pas de la mise en œuvre de compétence d’imitation mais d’innovation. Les compétences des MK ne peuvent donc pas être transférées et/ou partagées avec d’autres professions de santé ou à de nouveaux métiers de santé. La masso-kinésithérapie est différente dans ses pratiques de la médecine, de l’ergothérapie, des soins infirmiers, de l’éducation sportive … Si la Loi le permettait le MK pourrait se prescrire des actes à lui-même et prescrire à d’autres professions de santé (comme cela est réalisé par les médecins, les Chirurgiens-Dentistes …).
· Les cahiers des charges pour l’EPP seront utilisés par les tutelles pour le transfert et/ou le partage des compétences. Il doit donc être tenu compte des compétences de conceptualisation, d’innovation, d’éducation, d’évaluation concomitante à l’acte thérapeutique réalisé par le MK. L’EPP menée par une démarche scientifique et par des professionnels qualifiés par l’Université constitue donc l’occasion historique d’éviter à la Masso-Kinésithérapie de perdre certaines de ses compétences.
4. Définitions de l’EPP
– L’EPP est un processus continu d’amélioration des pratiques professionnelles par l’auto-évaluation et la régulation des connaissances, des savoir-faire et des attitudes du MK (médicales et éducatives).
– C’est un dispositif de formation et d’auto-prescription de formation.
· La logique de l’EPP est donc le questionnement et l’auto-questionnement et non une logique de contrôle. C’est un dispositif qui aide à valoriser les pratiques professionnelles et à les améliorer en les pensant, en les explicitant, en les confrontant (aux données scientifiques actuelles, entre pairs …) et en les écrivant. Dans le cadre défini précédemment l’EPP contribue donc à l’autonomie d’exercice, à la valorisation de chaque professionnel et de la profession.
5. L’amélioration de la qualité des pratiques, de la santé du patient et de la reconnaissance de la profession par l’EPP
· L’EPP du masseur-kinésithérapeute ne peut pas se réaliser uniquement à partir de savoirs scientifiques médicaux et des recommandations de la HAS.
· L’ EPP du masseur-kinésithérapeute doit aussi se réaliser à partir de savoirs, savoir faire et savoir-être éducatifs.
· L’utilisation de connaissances, de savoir-faire de savoir-être éducatifs permet de respecter la Loi du 04 mars 2002 et les données de santé publique. Dans ce cas le professionnel produit de l’inventivité, de la créativité, de l’imaginativité et permet la participation active, éclairée, engagée du patient aux décisions et à la thérapie.
· L’ EPP du masseur-kinésithérapeute doit également se réaliser à partir des savoirs et des savoir-faire pré-existants du patient, de ses projets, de ses demandes et de leurs évolutions.
· Le référentiel biomédical d’EPP doit donc être complété par un référentiel éducatif d’EPP.
· Le masseur-kinésithérapeute met en œuvre un modèle de santé complexe qui contient et dépasse le modèle de santé biomédical curatif.
· Il a déjà été montré par l’épidémiologie que la fusion de l’éducation et de la médecine au cours des soins permet aux patients d’améliorer leurs comportements, leurs modes de vie, la gestion de leur santé à court, moyen et long terme et leurs indicateurs biomédicaux (diminution de la médication, des arrêts de travail, des douleurs ressenties, des dépendances, des récidives, des complications, des temps d’hospitalisation, des addictions nocives …).
6. Opérationnalisation de l’EPP qui évite une dévalorisation de la profession et des MK
· Comme pour les médecins (JO du 03/01/08), il est souhaitable que les Masseurs-Kinésithérapeutes responsables de l’EPP (coordination, accompagnement, formation) soient compétents dans les domaines de l’éducation et de la recherche.
· Pour mettre en œuvre des missions d’évaluation, de formation, d’éducation, et d’EPP (coordination, accompagnement, formation) il est indispensable de posséder et de faire valider par l’université et la recherche scientifique des connaissances, des savoir-faire et des attitudes appartenant au champ des sciences de l’éducation.
L’auto-proclamation de savoirs et de compétences n’est pas de mise en Santé et en Science.
Il est présenté ci-dessous des cahiers des charges à l’EPP correspondant à l’état de veille scientifique et réglementaire actuel. C’est à partir de résultats de recherche déjà publiés que le 30 janvier 2008 le Conseil Inter-Régional PACA-Corse de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes a travaillé, validé puis communiqué au Conseil National de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes une grande partie de ces cahiers des charges.
7. Le cahier des charges concernant l’accréditation du référent régional de l’EPP
7.1. La mission du référent régional :
Vérifier le respect des cahiers des charges par les accompagnateurs à l’EPP, les formateurs des formations dédiées à l’EPP et par les centres de formation accrédités.
7.2. Pour accréditer un candidat aux fonctions de référent régional de l’EPP :
· Rechercher les connaissances, les savoir-faire et les attitudes que le référent régional de l’EPP devrait posséder (idéal type théorique). Construire le référentiel qui permettra de réaliser l’accréditation du référent régional. Il devra à minima posséder
les connaissances, les savoir-faire et les attitudes des accompagnateurs et des formateurs.
8. Le cahier des charges de l’EPP dans le cadre de l’exercice thérapeutique de la masso-kinésithérapie
8.1. Par thématique (par exemple la lombalgie) rechercher les connaissances, les savoir-faire, les attitudes biomédicaux que le masseur-kinésithérapeute devrait posséder et que le patient devrait posséder (idéaux types théoriques). Construire le référentiel qui permettra de réaliser l’EPP.
8.2. Rechercher les connaissances, les savoir-faire et les attitudes de l’éducation que le masseur-kinésithérapeute devrait posséder (idéal type théorique). Construire le référentiel éducatif qui permettra de réaliser l’EPP.
NB : ce référentiel éducatif est transversal et utilisable quel que soit la pathologie du malade. Ce référentiel a déjà été construit et publié par F Gatto et J Ravestein (Le mémoire. Sauramps Médical. 2008).
8.3. Sur chaque référentiel rechercher les obstacles statistiques à l’apprentissage de connaissances, de savoir-faire et d’attitudes pour les patients et pour les masseurs-kinésithérapeutes.
8.4. Les résultats de l’EPP et les projets :
• Les connaissances, les savoirs, et les attitudes du professionnel sont conformes aux savoirs et aux pratiques scientifiques biomédicaux et éducatifs. Pas de problème.
• Les connaissances, les savoirs, et les attitudes du professionnel sont devenues conformes par le dispositif d’EPP. Pas de problème.
• Certaines connaissances, et/ou savoirs faire, et/ou attitudes du professionnel ne sont pas conformes. Il existe un écart entre l’attendu (idéal type théorique) et le réalisé.
Donc auto-prescription d’objectifs et de contenu de formation et/ou d’expĂ©riences …
9. Le cahier des charges concernant l’accréditation des accompagnateurs à l’EPP
9.1. La mission de l’accompagnateur
· Organiser, animer et accompagner les praticiens dans l’auto-évaluation de leurs pratiques.
· A la fin de l’EPP réaliser avec chaque masseur-kinésithérapeute un bilan de l’EPP sous la forme de résultats et de projets.
9.2. Pour accréditer un candidat aux fonctions d’accompagnateur
· Rechercher les connaissances, les savoir-faire et les attitudes que l’accompagnateur devrait posséder (idéal type théorique). Construire le référentiel qui permettra de réaliser l’accréditation des accompagnateurs.
NB : l’accompagnateur n’est pas un expert de la pathologie mais de l’accompagnement. Ce référentiel à déjà été construit en partie et publié par F Gatto et J Ravestein (Le mémoire. Sauramps Médical. 2008).
· A partir du référentiel rechercher les obstacles statistiques à l’apprentissage de connaissances, de savoir-faire et d’attitudes pour les accompagnateurs
10. Le cahier des charges concernant l’accréditation des formateurs dans le cadre des formations dédiées à l’EPP
10.1. La mission du formateur
Aider le formé à se transformer au niveau cognitif, affectif et social. Cela par rapport à des apprentissages de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. Il s’agit d’un changement qualitatif plus ou moins profond dans une logique non d’accumulation mais de structuration. Il s’agit de transmettre des connaissances avec le souci de mettre en place un environnement qui aidera le formé à se questionner sur ses pratiques, à modifier certains de ses comportements, certaines de ses attitudes, certaines de ses connaissances et certaines de ses représentations.
10.2. Pour accréditer un candidat aux fonctions de formateur :
· Rechercher les connaissances, les savoir-faire et les attitudes que le formateur devrait posséder (idéal type théorique). Construire le référentiel qui permettra de réaliser l’accréditation des formateurs. Le formateur doit être accrédité sur le référentiel éducatif et sur le référentiel de formation.
NB : le formateur n’est pas un expert de la pathologie mais de la formation.
· A partir du référentiel rechercher les obstacles statistiques à l’apprentissage de connaissances, de savoir-faire et d’attitudes pour les formateurs.
11. Le cahier des charges concernant l’accréditation des organismes de formation candidats aux formations dédiées à l’EPP
Rechercher les critères de garantie de qualité que les organismes de formation devraient remplir (idéal type théorique). Construire le référentiel qui permettra de réaliser l’accréditation des organismes de formation.
12. Comment se former et acquérir les savoirs et les compétences reconnus par la communauté scientifique, l’Université et par la profession
Pour pouvoir correspondre à ces cahiers des charges depuis plus de 5 ans il a été réalisé des partenariats de formation en Sciences de l’Education avec des Institutions de santé :
IFCS-Rééducation de Montpellier (tel : 04 67 54 76 55) et sur Paris par la Coordination ARB (tel : 01 40 03 57 26). Ces formations universitaires en Master 1 pour les cadres de santé et en Master 2 de 300 heures sur 18 mois sont coordonnées par des MK qualifiés en Sciences de l’Education. Le niveau Master 2 est reconnu dans tous les pays d’Europe en Bac + 5.
Les résultats des mémoires de Master des étudiants puis pour certains en thèse contribuent à la valorisation professionnelle individuelle et collective et au développement de connaissances et de savoir-faire propres à La MK validés par la communauté scientifique. La construction d’une Discipline Universitaire indispensable à l’autonomie de pensée, d’écriture, de discours, d’exercice (accès direct, droit de prescription …) et à l’amélioration de la qualité des pratiques (soins, EPP, management, formation, éducation, enseignement) devient possible.
13. Pourquoi et comment une discipline en Masso-Kinésithérapie ?
· Une discipline en Masso-Kinésithérapie
Pour améliorer la qualité des pratiques de soins, de formation - et la santé des patients il est nécessaire de créer une Discipline Universitaire en Masso-Kinésithérapie. La discipline permettra d’organiser et de mettre en œuvre des cursus de formation et des projets de recherche adaptés aux nécessités de santé publique actuelles et à venir.
· La formation Initiale :
La discipline gérée par des Enseignants-Chercheurs Masseurs-Kinésithérapeutes (MK) habilitera un diplôme d’Etat de niveau Master 1 (240 ECTS) dont la délivrance sera entièrement gérée par des MK. Ce diplôme sera reconnu par le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la santé. Le droit d’exercice est donné par l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes.
Les IFMK deviendront des IUFMK (Institut universitaire de formation des masseurs-kinésithérapeutes).
· La Formation Toute la Vie :
La discipline habilitera un diplôme Master 2 professionnel (300 ECTS) pour former les cadres de santé dans des fonctions de cadres hospitaliers et pour les cadres dans des fonctions de formateurs en IFMK.
La discipline habilitera des Master 2 professionnel spécifique aux MK pour préparer aux fonctions d’ostéopathe, de kinésithérapie respiratoire, d’éducation en santé, …
· La Formation Doctorale :
La création de plusieurs laboratoires de recherche habilités par le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la santé, orientés sur les problématiques de la MK dans sa multiréférentialité contribuera à une réelle politique de recherche : identification des priorités ; évaluation de la scientificité des pratiques, des écrits, des discours, des techniques ; soutenances de thèses dans la discipline, productions scientifique de connaissances et de techniques.
Les résultats de ces travaux de recherche enseignés en formation initiale et en formation continue en MK conduiront les MK à développer de nouvelles manières de penser, d’écrire, de parler et de pratiquer. Les MK passeront d’une posture d’agent prescrit à une posture d’auteur prescripteur.
Le nombre de MK possédant une thèse et/ou une Habilitation à Diriger les Recherches (HDR) et/ou inscrits dans une discipline d’accueil est très important. Ces MK sont prêts sur le plan scientifique et administratif à gérer la discipline. Pour y parvenir il est nécessaire et indispensable que la majorité des MK convergent sur cet objectif par leurs discours et leurs écrits. La décision politique de création d’une discipline à titre expérimental sur Marseille et sur Paris par exemple est possible.
Par la discipline il pourra être obtenu l’accès direct du patient au MK, l’augmentation de la rémunération des actes de MK, un droit de prescription élargi du MK…
Priorités actuelles pour la MK, l’EPP et la Formation
Il est impératif pour la défense et la promotion de la profession que les cahiers des charges concernant l’EPP soient écrits conformément aux données réglementaires et scientifiques actuelles et soient respectés par toutes les Tutelles. La HAS, le Conseil de l’Ordre National et les Conseils Régionaux et Inter-Régionaux de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes veilleront très certainement aux contenus et au respect des cahiers des charges.
Je remercie vivement Eric Pastor, Didier Evenou, René Couratier, Jean Luc Gérardi,
Dominique Pelca, Jean Serri, Pascal Agard, Daniel Moine, Stéphane Michel, Tristan Maréchal … et bien d’autres MK dont la liste est trop importante pour tous les citer, qui soutiennent et/ou mettent en œuvre tout ou partie de ce projet.
Franck Gatto
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